Lost my job, found an occupation

Un pavé dans « La Meuse » (ép.1) : Dutroux, Le Monde et la déontologie

In Un pavé dans la "Meuse" on 16/03/2012 at 16:47

Depuis quelques semaines, je ne suis plus journaliste. Je l’ai décidé, c’est un choix personnel. Cela ne veut pas dire que je ne le serai plus, et même j’ai envie d’écrire, d’aller à la rencontre de ceux qui font l’actualité, envers et contre tout. Pour autant, ma situation de « non-journaliste » ne doit pas m’empêcher de la fermer face à ceux justement qui font l’actualité.

Pendant six mois, j’ai collaboré comme journaliste pour La Meuse Namur.J’étais employé, chose rare dans ce métier, surtout quand on sort à peine de l’université, à 24 ans, son diplôme en poche. On m’a proposé ce poste, et je l’ai accepté. J’avoue que, par paresse ou par faiblesse, je n’avais pas envie de courir de rédaction en rédaction avec mon CV sous le bras, en faisant semblant d’être le meilleur, pour obtenir quelques piges. Bref, pendant six mois et quelques articles sous le bras, j’ai été journaliste, même si je n’ai jamais vraiment pensé que je l’étais.

Puis il y a une mosquée en feu, puis il y a un accident de car, des enfants morts, un pays en deuil, et forcément, l’on a envie de parler et d’écrire. Comme je ne suis plus journaliste, je peux écrire ce que je pense vraiment, et pas ce qu’un rédacteur en chef attend de moi, ni même répondre aux attentes des lecteurs faméliques du journal dans lequel j’écrivais.

D’abord Marc Dutroux

Depuis jeudi, les polémiques s’enchaînent sur cet accident de car. D’abord, avec l’article de Jean-Pierre Stroobants dans Le Monde (http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/03/14/accident-de-car-la-belgique-de-nouveau-bouleversee-par-la-mort-d-enfants_1669000_3214.html), où le correspondant belge soulignait la similitude entre l’affaire Dutroux et l’accident de car à Sierre. Non pas dans les faits forcément, mais par la vague d’émotion provoquée par la mort de 24 enfants, un accident qui bouleverse notre pays depuis plusieurs jours. Dans sa réflexion, le journaliste indiquait que les Belges avaient une sensibilité à fleur de peau:

« Sidérée par le bilan de l’accident, la population est d’autant plus impressionnée qu’une grande majorité d’enfants figurent parmi les victimes. Après les terribles révélations, consignées dans un rapport officiel, sur les actes de pédophilie commis au sein de l’Eglise catholique durant des décennies mais, surtout, depuis l’affaire Marc Dutroux, les Belges ont une sensibilité à fleur de peau (…) Et chaque accident impliquant des enfants ravive désormais les plaies mal cicatrisées des Belges. »

Je le répète, ces deux drames n’ont rien à voir. D’un côté, la cruauté humaine à l’état pur, de l’autre, un accident de la route impossible à prévoir. Mais comme le dit bien Jean-Pierre Stroobants, chaque accident, chaque meurtre impliquant des enfants ravive les plaies mal cicatrisées des Belges. Il suffit de voir cette « communion nationale » autour de ce drame, comme le titrait Le Soir de ce matin. Au fond, nous sommes tous des parents, frères ou sœurs des enfants d’Heverlee ou de Lommel…

Mais j’ai surtout l’impression que cette polémique, c’est l’occasion de faire du clic, de la publicité, du fric en somme pour les sites d’information : mettre Dutroux et enfant mort, c’est forcément réveiller les « plaies mal  cicatrisées » des lecteurs, c’est l’occasion aussi et surtout de réveiller une presse moribonde en mal de chiffres d’affaire, et en manque d’idées.

Alors le journaliste devient comme le boucher. « Il y en a un petit plus, je vous le mets quand même ? » A l’émotion légitime de ce drame, a vite suivi la surabondance d’informations, même quand il n’y avait rien à dire. Comme avec cette minute de silence, où pour nous l’annoncer les médias n’ont pas cessé de nous abreuver toute la matinée d’un bavardage inutile jusqu’à la nausée. A défaut d’informer, on a bavardé des heures et des heures : hier, après le drame, on interrogeait l’assureur pour voir combien ça valait un enfant mort, aujourd’hui, jour de deuil, c’était un prêtre pour voir comment l’on vivait la mort d’un enfant.

RTL, c’est vous…

On pouvait suivre et vivre en direct le malheur des parents et pleurer dans nos chaumières, en se disant pourquoi pas nous ? Apprendre sur Twitter que tel enfant venait de sortir du coma, tel autre pas encore, on attendra… C’est normal, on a besoin de s’identifier aux drames des autres, c’est le ressort même de toute histoire, de toute tragédie, le ressort de tout fait divers aussi. En ce domaine, les journalistes n’ont rien inventé.

Mais derrière cela, ne soyons pas dupes, c’est la course à l’audience. Le drame que vous suivez en direct, c’est comme le dernier feuilleton à la mode, et les journaux le savent et même n’hésitent à s’en féliciter comme ce fut le cas pour RTL :http://imgur.com/6mXcD

Trois jours après l’accident. Les journaliste viennent eux aussi à faire leur deuil, celui de leur déontologie. C’est une pratique courante, et ce fut le cas pour l’accident de bus à Sierre et la publication justifiée ou non des photos d’enfants. L’occasion pour la presse de caniveau de justifier ses mauvais défauts, pour la presse de qualité l’occasion de se vanter de ne pas se chauffer de ce bois-là. Or, tout le monde a les mains dans le cambouis. C’est systématique et éternel : à chaque fait divers, chaque drame, il y a toujours ce bon vieux débat avec les mêmes acteurs qui ressortent les mêmes réponses pour savoir s’il fallait ou non publier les photos, du genre : « L’intérêt public n’est pas l’intérêt du public », soulignait André Liénard, secrétaire général du CDJ, jeudi soir sur le site du Soir.be  : http://www.lesoir.be/actualite/le_fil_info/2012-03-15/accident-sierre-le-droit-a-informer-n-est-pas-illimite-903102.php

Moi-même, au cours de ma maigre expérience d’apprenti-journaliste, je me suis retrouvé à devoir trouver coûte que coûte des photos de victimes ou de coupables : là, une grand-mère violée par un jeune ado, ici, un entraîneur pédophile dans un club de foot. Je peux vous dire qu’en allant trouver ces personnes à la sortie d’une audience au tribunal, l’on n’est pas fier de leur demander une photo pour montrer aux lecteurs qu’ils sont bien coupables ou victimes, pour jouer à son tour les procureurs, pour justifier un passage dans les pages d’un journal et vendre plus que le voisin qui ne vend déjà plus grand-chose. Le souci, et à défaut de photo, c’est que nous ne manquons pas de faits divers, mais nous manquons de moyens pour les comprendre et les expliquer au public, au delà de l’émotion et des polémiques vaines.

  1. Enfin quelqu’un de vrai, qui voit clair et qui a des couilles!

  2. J’ai horreur des journalistes depuis longtemps justement parce qu’ils nous abreuvent de toutes ces nouvelles a longueurs de journées , j’ai zappé à chaque fois qu’on parlait des enfants cette semaine et en même temps je m’en voulais de devenir insensible. Quand je vois les parents qui sont persécutés en plus!!! C’est vraiment écœurant !

    • Je vais peut-être vous étonner, mais j’aime ce métier, et je suppose que vous aussi. Seulement, et vous avez raison, nous sommes abreuvés chaque des mêmes informations. Puis ne pas regarder la télé, prendre de la distance face aux différents drames que l’on connaît, ce n’est pas être insensible, que du contraire !

  3. J’aime cette réaction saine. Bravo…Mieux vaut libre d’écrire ce que l’on souhaite afin de susciter le débat que de tomber dans l’infâme…Merci pour ce moment de réflexion et de prise de recul….

    • Oui, j’aime beaucoup cette liberté, cette distance, cela permet de voir plus clair, plus loin, même si, en le relisant, je trouve mon billet un peu creux. En tout cas, merci de me lire. Pierre

  4. J’ai découvert ton article via twitter et j’apprécie ta franchise et ta liberté de ton. Par contre, étant moi-même étudiante en journalisme, je m’interroge sur les raisons qui t’ont fait quitter la profession… Un prochain article peut-être ?
    Bonne continuation en tout cas.

  5. Bravo PJ. Tu résumes beaucoup de choses avec des beaux mots.
    bonne chance pour ton blog. On se voit bientôt.

  6. Bravo jeune homme, j’ai vécu ce que vous raconter ici… Vos ex-confrères qui vous disent, la larme à l’oeil… Ca doit être très dur… si vous aviez une photo de votre fille, on pourrait mieux faire prendre conscience de votre combat…
    Le métier de journaliste n’existe plus, il n’y a plus que celui des « journaleux », comme je l’indiquais dans mon blog ici http://jfernandez-probruxsel.blogspot.com/2012/03/et-maintenant-les-journaleux-silence.html

  7. Il n’y a pas eu de vague d’émotion. Il y a eu vague d’émotion parce que « la presse » a dit et répété qu’il y avait une vague d’émotion. Il n’y a pas eu de deuil national. Il y a eu deuil national parce que le politique l’avait décrété dans le même mouvement que « la presse » en remettait couche sur couche avec la dégoûtante insistance qui a finalement fait en sorte que, pour beaucoup, cette « presse » est devenue quelque-chose d’absolument infréquentable.
    Au reste, votre papier (si j’ose dire) est très courageux; à l’image de votre attitude dans cette affaire et par rapport à votre métier (qui est aussi le mien depuis plus de vingt ans). Je vous souhaite vraiment d’avoir la chance, un jour, de l’exercer dans des conditions qui feraient que vous n’ayez pas à en rougir. Mais ça sera dur…

    Bien cordialement à vous,

    Jean-Pierre L. Collignon, journaliste (à la retraite mais encore actif sur les ondes de la rtbf-radio -l’indispensable chroniqueur mondain, ça vous dit quelque-chose ?…)

  8. Ah enfin quelqu’un qui pense comme moi. Moi aussi j’ai travaillé cette année pour La Meuse mais comme indépendant. J’ai arrêté. Je suis au chômage mais je préfère travailler autre part quitte à changer de domaine.

    Je trouve que la presse en a trop fait avec cette histoire de car. Ils ont traité le sujet d’une façon malsaine. Ils ont aussi fait des éditions spéciales pour ne rien dire.

    Content de t’avoir lu et bonne continuation !

    Ludovic

  9. Le journalisme est noble, des journalistes sont ignobles.
    Je crois que l’ont peut relativement bien résumer cette écœurante histoire, et toutes ses tristes semblables de cette sentence.

    Bien entendu, par « journaliste » on comprendra tout l’organigramme professionnel, du pigiste collecteur du pire au rédac’chef garnissant sont étal macabre pour le chiffre, ce tyran. Rien de neuf sous le regard des dieux de l’info qui rapporte mais pas d’absolution non plus, si elle rapporte, justement, cette presse abjecte c’est uniquement parce qu’elle plaît a un public aussi abjecte qu’elle et dont le nombre ne diminue pas.

    Heureusement, il y a des gens comme vous, des journalistes, qui n’excusent pas, refusent de se commettre et dont l’honnêteté rend a ce métier cette noblesse dont il a les lettres lorsqu’elles sont bien écrites.

  10. Merci ! Cela me rappelle mon père, Claudio Orselli ; même honêteté, même exigence, même passion du métier il fut photo-journaliste à la Nouvelle Gazette de 62 jusqu’au milieu des années 90 (à sa retraite), je n’ai pas suivi la même voie après avoir assisté à une Ag de journalistes en 83 et constater l’étrangeté (pour moi) de cet univers particulier.
    Une déontologie inérante à la fonction de la Presse dans une société démocratique est mise à mal par la rentabilisation financière,…Il y a une difficile voire impossible adéquation entre Liberté de la presse et alliénation à sa « rentabilité », à ses actionnaires…Pas étonnant dés lors que les médias appartiennent de plus en plus à ceux et celles qui détiennent le pouvoir (financier) ou qui veulent l’acquérir (politique), et l’utiliser pour leurs propres intérêts, ou pour alimenter les demandes d’un public consommateur Si le profit financier est le but… Je serais volontier partant pour la création d’une « coopérative de presse », propriété de son public désireux d’un médias libre,…;-) N’était-ce pas le projet d’origine du journal « Le Monde Diplomatique » ? Encore une vision utopiste peut-être ? Des rêves à partager, à créer !

  11. Une phrase un peu alambiquée au début du texte. « Cela ne veut pas dire que je ne le serai plus à l’avenir, mais cela ne doit pas m’empêcher non plus à devoir la fermer pour autant. » Euh… 😉

  12. Je crois que nous sommes bien d’accord. Alors si vous permettez: http://groserch.wordpress.com/2012/03/15/suffocations/

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